Butterfly Process : innover à l'âge du papillon

Conférence Innovation, Entreprise
le  1 avril 2019Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire
Edouard Le Maréchal, consultant en innovation
Edouard Le Maréchal, consultant en innovation
Après plus de vingt ans dans le conseil en innovation, Edouard Le Maréchal a constaté avec effarement le taux d'échec des projets innovants qu'il avait pu croiser lors de son activité professionnelle. Et si les échecs ne relevaient pas d'une seule et même cause ? Et si c'était la définition même de l'innovation qui était à remettre en cause ?
Ces réflexions l'ont conduit à auditer les principales méthodes d'innovation proposées à ce jour et à s'interroger sur la représentation de l'innovation en tant que telle. Ce travail lui a permis de constater un décalage de pensée important entre des démarches construites dans une environnement économique stable et croissant et une réalité de plus en plus dynamique, voire chaotique.

De cette optique, Edouard Le Maréchal a construit une nouvelle conviction : qu'il est temps que le monde des affaires adopte à son tour le changement cognitif imposé par la pensée scientifique et qu'il sorte du réductionnisme pour se plonger dans la pensée complexe. De cette conviction sont nés un livre qu'il est venu nous exposer.

Un constat associé à son expérience

Edouard Le Maréchal a accompagné durant plus de vingt ans de nombreuses entreprises au sujet de problématiques diverses d’innovations. Il a vu surgir, apparaître et se développer de nombreuses méthodes et modèles : le design thinking, la stratégie océan bleu, les business models - dans un contexte de déploiement d’internet et de digitalisation - mais pour un taux d’échec important…

Comment expliquer que l’entrepreneur n’arrive pas à l’endroit où il veut aller malgré l’utilisation de ces modèles et de ces méthodes ?

Remise en cause

Pour mettre en avant les limites des systèmes d’innovation actuels, Edouard Le Maréchal s’appuie sur un exemple : l’échec de Peugeot PSA avec la sortie de l’automobile 1007 en 2005. Quelques années avant cette date, Peugeot se rend compte qu’une caractéristique jusqu’alors négligée par les constructeurs automobiles, tend à se développer : l'accessibilité. Les villes sont de plus en plus denses, la place se fait rare, nous sommes plus grands, plus forts et nous vieillissons. L'accessibilité est alors jugée comme une vraie question à laquelle Peugeot aimerait apporter une réponse : la porte coulissante automatique.
Pour assurer son développement, Peugeot choisit de se tourner vers le segment des micro-citadines qui présente un faible risque stratégique. Peugeot se trouve rapidement face à une problématique technique : l’emploi d’un moteur sécurisé pour la porte oblige à revoir la structure interne de la voiture. Cette révision augmente le coût et oblige Peugeot à faire des économies sur les équipements intérieurs. C’est un échec : le modèle se vend très mal.

Est-ce un problème de temporalité ? d’adéquation clients/produit ?

L’exemple de la 1007, n’est pas anodin, il prouve l’inadéquation entre l’objectif et la raison d’être de leur innovation : un raisonnement à court terme pour une innovation long terme. Le client que l’on souhaite convaincre n’existe pas encore et il est compliqué de définir ce qui dans le contexte futur, parviendra à le convaincre.

Cet exemple permet de mettre en avant 5 points concernant l’innovation :
  • la cible n’est pas le client
  • l’innovation n’est pas le produit
  • le futur n’est pas le présent
  • la valeur n’est pas l’argent
  • le désir n’est pas la preuve
La question du "moment opportun" pour mettre sur le marché un produit pour qu’il soit accepté par le public a été développée par Raymond LOEWY (esthéticien industriel) à travers la théorie du stade MAYA[1], cet acronyme pour Most advanced Yet Acceptable.

Notre vision actuelle de l’innovation paraît biaisée. Il est de pensée commune que l’innovation doit se présenter comme une évidence, elle est fédératrice et immédiate. Elle est également vue comme mesurable, on peut savoir où l’on est à chaque moment du processus, à l’instar des méthodes Scrum et Sprint. Le business model est vu comme une arme massive, la seule qui permettra aux financeurs de vous faire confiance.

Quand on regarde les grandes innovations d’aujourd’hui (Amazon, Uber...), aucunes ne sont en réalité passées par là et il faudrait donc quitter le modèle de la “véritable histoire de l’innovation qui échoue” - décrite par l’auteur - faite de décisions erronées et de prototypes séduisants.

Constatant que les méthodes utilisées étaient inadaptées, il est essentiel pour lui, d’élargir le champ d’action afin de raisonner de façon systémique. Il nourrit sa réflexion de deux grandes références historiques : Schumpeter et sa méthode qui tend vers la réduction des coûts et Peter Drucker, qui prône le fait que l’innovation réside dans la valeur perçue.

La réalité n’est pas seulement économique, exacte et mesurable mais s’élargit à d’autres échanges et domaines comme le savoir, la confiance, les connaissances...etc.

Par exemple, la question de la valeur du savoir est traité par Idriss Aberkane, à travers sa théorie sur l’économie de la connaissance. L’auteur développe une nouvelle forme d’économie associée à la connaissance et non plus à l’argent. Cette idée rejoint celle d’Edouard Le Maréchal concernant les nouvelles dimensions à prendre en compte au sein de l’innovation.

Et si notre vision du contexte était fausse ? Et s’il existait une troisième forme d’innovation ?

Une nouvelle vision de l’innovation

Innovation incrémentale : améliorer un instant, corriger un défaut.

- inspirée par des insights ( consommateurs ou utilisateur)
- approche de type design thinking.

Innovation de rupture : construire un avantage compétitif durable.

- inspirée par l'état de l’art, un brevet
- approche de type CPS/ business model canvas.

Innovation radicale : inventer un nouveau marché (ex : Uber)

- inspirée par la prospective et les prévisions sectorielles
- approche Butterfly process.

Selon Edouard Le Maréchal il existe une confusion entre le contexte du présent dans lequel on réfléchit et le contexte futur dans lequel l’innovation sera mise sur le marché et acceptée. Les effets systémiques (évolutions légales, comportements des usagers etc.) qui sont très peu prévisibles vont générer des dynamiques dont on ne peut prévoir la probabilité.

Il faut aussi s’intéresser au futur afin de comprendre le champ des possibles. L’approche classique consiste à avancer, régler les problèmes au fur et à mesure. La démarche d’innovation visionnaire - celle décrite par Edouard Le Maréchal - quant à elle, réside dans l’imagination de la réussite et de la diffusion forte dans l’environnement. Ainsi, on prend en compte ce que cela implique pour les acteurs et les parties prenantes (fournisseurs, distributeurs, etc.). Cela permet de faire des arbitrages par rapport à cette situation développée pour affiner le produit en prenant en compte ces déséquilibres qui pourraient nous affecter.

Et si notre croyance en notre innovation était fausse ?

L’auteur prend l’exemple de Steven Sasson, employé de Eastman Kodak qui développe en 1975 un premier prototype de l’appareil photo numérique. Son innovation est refusée car estimée en désaccord avec l’activité principale de l’entreprise. L’innovation ne doit pas nécessairement former de consensus, les croyances autour du projet peuvent d’ailleurs le nourrir, ce n’est pas un combat. Il faut donc intégrer les représentations positives et négatives de l’innovation, négocier et enrichir la proposition de valeur grâce aux croyances des individus extérieurs et agir concrètement.

Cette remise en cause global de notre système d’innovation actuel permet de mettre en avant la proposition d’une nouvelle méthode : Le Butterfly Process.
Cette méthode développée par Edouard Le Maréchal vise à :
  • adopter une démarche visionnaire et prospective
  • élargir la notion de valeur à des ressources non mesurables
  • changer la façon de décrire la réalité complexe, avec l’analyse systémique
  • considérer la phase de lancement et le changement des croyances comme partie intégrante de la proposition de valeur et du business model.
Le battement d’aile du papillon devient un vortex de l’innovation qui doit gérer simultanément la proposition, la création de valeur, les croyances et le déploiement.
Cette méthode ne consiste pas à prévoir mais à décider, il ne s'agit pas de prédiction mais bien de prospection.

Enfin, Edouard Le Maréchal clos la conférence sur le rapport avec une vision du temps associé à l’innovation. Les grecs utilisent trois termes pour parler du temps :
  • Chronos : le temps physique, le temps qui passe
  • Kairos : le temps métaphysique, le bon moment
  • Aiôn : le temps cyclique , le destin
Ainsi, Le Butterfly Process s’inspire d’un concept fort ancien, le temps Aiôn.


[1] LOEWY Raymond, La laideur se vend mal, Editions Gallimard, 2006, p.414

Intervenant

Edouard Le Maréchal
Edouard Le Maréchal,
Président de CréaFrance, consultant en innovation et auteur du livre "Innover à l'âge du papillon"

----------------------------
Date de la conférence : 4 février 2019
Lieu : MSH Alpes


Article co-rédigé avec les étudiants du Master 2 Management de l'Innovation de Grenoble IAE.
Publié le  14 mars 2019
Mis à jour le  16 avril 2019