Bruno Poyard : la transgression du designer

Présentation Innovation pédagogique
le  6 avril 2018
Bruno Poyard
Portrait de Bruno Poyard 2018
Après un parcours mouvementé, Bruno Poyard intègre un cabinet d’architecture, des agences de communication et un studio de photographie industrielle. Puis il bifurque et devient enseignant, en lycée d’abord, où il découvre la transdisciplinarité à Grenoble. Puis l’éducation artistique en Nouvelle-Calédonie. Finalement, il intègre l’UGA où il découvre Promising. «Un espace pour faire entendre ma voix », se dit-il. Celle de la créativité, qu’il révèle à ses étudiants.
«J’étais un peu fatigué. Je ne savais plus dans quel ordre enchainer le cours. À ce moment, une étudiante me dit : “ J’avais pensé à ça d’abord, puis ça…» Le professeur de design est d’accord. Le cours se poursuit dans une nouvelle direction, celle proposée par l’étudiante. Aujourd’hui, cet exemple fait sourire Bruno Poyard derrière ses lunettes aux montures de bois. Surtout, elle démontre l’implication et la liberté des élèves dans ce module mené avec Promising : « Ce n’est pas une école ni un laboratoire de recherche, c’est un projet. Et un ovni universitaire », traduit Bruno Poyard qui mène un atelier auprès de licence 3e année en sciences humaines appliquées. « J’accompagne les 30 étudiants et aussi quatre professeurs, qui arrivent chacun avec leur discipline, et qui les encadrent. Ils amènent des problématiques et je leur propose des outils, des leviers pédagogiques.»

Dans ce cours, où se conjuguent les approches philosophiques, géographiques ou encore historiques, les étudiants interrogent la célébration des JO de Grenoble. Le projet passe par l’expérimentation d’outils (comme le cabinet de conversation - voir la vidéo) ce qui peut parfois dérouter les étudiants. Mais après une première phase de flou, ils l’acceptent, s’engagent et sont satisfaits des résultats.



Bien loin d’une image où la créativité rime avec dilettante, le processus est identifié et précis. « On prend beaucoup de liberté quant à la manière de travailler. Mais il y a une exigence : produire de la qualité », assure Bruno Poyard.

Promising, l’atelier universitaire de créativité

Je dispose de méthodes qui permettent de faire réunir des disciplines différentes. J’amène ce bouillonnement, et je sollicite plusieurs intelligences

Pour cet enseignant en communication, l’intérêt de ce cours réside essentiellement dans la transversalité entre les matières universitaires et évolue avec les expérimentations. « Au départ, l’idée reposait sur la pluridisciplinarité. Mais ce n’est, à mon avis, pas la bonne méthode. Si on arrive avec une discipline, chacun reste enfermé ». Ainsi, le travail porte désormais sur la transversalité, « sur les capacités transversales aux disciplines. L’observation, l’analyse, la créativité, la communication de résultats : ce sont des capacités qui traversent les disciplines », décrypte-t-il. Il assure aussi que le bagage des étudiants sera enrichi par de multiples connaissances méthodologiques : « Ils apprennent à éviter de prendre le sujet de surplomb, à être capables de le problématiser et de traiter les questions. »

Et Bruno Poyard de poursuivre : « Je dispose de méthodes qui permettent de faire réunir des disciplines différentes. J’amène ce bouillonnement, et je sollicite plusieurs intelligences. Quelqu’un à l’aise à l’oral, ou sur la mise en forme, pourra s’exprimer. » Développé au cours de sa carrière — « j’ai été prof dans un lycée professionnel en ZEP. C’est l’école du « faire », — de nouveaux outils continuent d’être inventés au sein d’un groupe de travail, mené par Jean-François Hugues, animateur en créativité à Promising. « Durant notre formation, on s’est dit qu’il nous manquait des outils pour travailler sur la divergence. Alors on planche là-dessus », sourit Bruno Poyard, qui reste encore surpris par une telle agilité. Le bus à l’envers, c’est son nom, met au jour de nombreux outils sous forme de cartes, de questions, qui intégreront ensuite la boîte à outils de Promising.

Ainsi, Promising est une manière d’amener sur la table la vision de l’enseignement de Bruno Poyard, celui du designer, qui se sent parfois à l’étroit dans le dogme universitaire. Si elle est le siège de la connaissance objective, l’université reste à ses yeux « un espace où on théorise d’abord puis on applique. Cette pensée dominante et verticale me paraît dépassée. »

Bruno Poyard

Et cela se retrouve dans le regard de certains collègues, qui comprennent mal les enjeux de sa démarche design. Il déplore ainsi l’image du design comme étant de « la déco, souvent liée au mobilier et galvaudé par des émissions de télé superficielles » alors que lui parle de design comme d’un domaine et d’un process. Il l’explique : « Ma manière de travailler diverge. Avec les élèves, on travaille, on fabrique, on se plante. Et on recommence. C’est une approche pragmatique et sensible de la connaissance », définit-il.

Le canapé, un nouvel outil ?

Le mobilier, et plus précisément le canapé est au cœur d’une nouvelle vision du monde du travail. Depuis le célèbre exemple Google, en passant par des entreprises plus récentes.

« Sous des rapports de ‘‘c’est cool chez nous’’, des entreprises de pointe, inhumaines, continuent l’exploitation de leurs salariés. Mettre un canapé dans une entreprise, c’est une trahison. Or, le canapé à l’université à un tout autre rôle », affirme le spécialiste de la chose. Bruno Poyard défend donc l’idée d’un canapé universitaire : « Ce mobilier est un outil pour se poser, un dispositif pour réfléchir. Doit-on rester figé sur un tabouret pour réfléchir, ou peut-on s’allonger et boire un coup?», et réussir à être autant, voire plus productif ? Et de revenir sur sa discipline : « Dans le design, il y a un temps d’incubation qui doit être reconnu. Ce temps permet de mettre à distance, de trier ses idées. C’est un moyen pour aller vers la qualité » confirme-t-il.
 

Une rencontre entre les matières


Cette démarche design le suit depuis ses débuts dans l’éducation nationale. Dès 1995, il expérimente au lycée Argouges ses techniques apprises dans le monde professionnel. « À l’époque, j’ai monté un projet transdisciplinaire, avec un professeur de lettres, un enseignant d’EPS et un artiste. On a réfléchi à des télescopages extraordinaires : de la danse à l’écriture, et de l’écriture à la danse ».

Dès son entrée au lycée, il analyse le décalage. « Comme je viens du monde professionnel, j’étais un peu l’extraterrestre. D’autant que les projets de créativité n’étaient pas encore reconnus par l’éducation nationale. On réussit à sortir les élèves du périmètre de la classe. Et puis un jour, le proviseur change. Et le projet s’arrête net ». Bruno Poyard déplore la difficulté de l’institution à pérenniser les initiatives pédagogiques.

Ainsi, le travail de Bruno Poyard est issu de long tâtonnement professionnel, et d’un parcours maillé d’accroc et de surprises. À Promising, Bruno Poyard retrouve un lieu pour réaliser ses essais perpétuels : « On s’extrait de l’ambiance formatée de la classe habituelle. Ainsi, la salle dispose de tables rondes, de fauteuils à roulettes et de canapé. »

Un cadre souple et libérateur, un territoire pour conceptualiser les démarches créatives.

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Article rédigé par Charles Vonnils


Publié le  29 janvier 2018
Mis à jour le  18 mai 2018