L'innovation et la créativité sous l'oeil de la Renaissance

Conférence Innovation
le  21 janvier 2019Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire
Thierry Ménissier, Karine Safa
Thierry Ménissier, Karine Safa
Karine Safa mène une réflexion sur la créativité et l'innovation en lien avec la période de la Renaissance. Elle s’intéresse notamment à la notion de métamorphose et aux parallèles qu’elle perçoit entre notre époque et celle de la Renaissance. Retour sur la conférence du 7 janvier 2019.
Karine Safa, docteur en philosophie, chercheur associé au CNRS et conférencière invite les auditeurs à faire des liens entre l’héritage de cette période du XVe–XIVe siècles et leurs propres expériences. Elle explique la démarche qui l’a conduite à mettre la Renaissance au cœur d’une réflexion pratique sur la créativité et l’innovation et à privilégier ce moment clef de l’histoire pour nous apporter des repères solides dans un monde hyper technicisé qui risque de fragiliser notre conception même de l’homme.



Sa conférence s’ouvre sur une présentation de son parcours et sa perception de l’ouverture des intellectuels au monde non universitaire. Karine Safa souhaitait aller plus loin que l’érudition et la théorie pour aller à la rencontre des autres. Ainsi, de la Renaissance et l’Humanisme de Pico di la Mirandola -vue comme le « berceau de l’innovation »- jusqu’au XXIe siècle, Karine Safa propose de questionner le passé pour comprendre le présent.
 

Questionner le passé pour comprendre le présent

Dans son travail, Karine Safa nous explique s’être intéressée aux problématiques de l’interdisciplinarité et d’analyser trois notions fondamentales :
  • la révolution de la perspective dans la peinture qui questionne le rapport entre art et mathématiques,
  • l’alchimie, domaine entre science et mystique, qui place l’expérience comme moteur du savoir et ce, bien avant Boyle et Newton,
  • le transhumanisme et la place de l’homme dans le développement économique et technologique.
Ces trois axes de pensées lui permettent d’analyser les transitions, les transformations et les tensions du présent grâce à un effet de miroir entre notre monde et celui des intellectuels de la Renaissance. Pour Karine Safa, la Renaissance, comme aujourd’hui, subit de nombreuses crises autant économiques que sociétales. La chute du système financier italien entraîne des dérèglements économiques, accroît une pauvreté déjà importante et provoque des révoltes populaires. De plus, l’imprimerie, selon Karine Safa est observée comme une ouverture du savoir et de fait, une perte des anciennes valeurs portées par les sociétés féodales.

A cette époque de nombreuses croyances sont remises en question, notamment celle où le monde n'est plus le centre de l’univers. Cela va générer chez les hommes de la Renaissance une forte confiance dans leur capacité de création. Ce facteur est pour elle une dynamique d’innovation propre à la Renaissance.

L'utopie et la perception de l'échec, facteurs d'innovation

Nos innovations technologiques devraient servir l'Homme et non contribuer à le déshumaniser.

Pour analyser les liens entre la Renaissance et aujourd’hui, Karine Safa réalise un focus sur deux notions centrales dans la philosophie humaniste : l’utopie et la perception de l’échec.

L’utopie à la Renaissance sort de sa vision mythologique. Chez Thomas More notamment, l’utopie est perçue comme un espace de liberté, où sont cultivés l’altérité et le dialogue, ainsi que le transfert des connaissances et des compétences. L’utopiste est donc perçu comme un innovateur car il voit plus loin que le réel. Il entrevoit les besoins de la société et écrit une vision du futur. Karine Safa lie cette capacité à repenser le monde, chez Maure, chez Rabelais, chez Montaigne, aux mouvements récents comme les hackeurspaces, qui veulent réinventer les façons de travailler, ou les coopératives, SCOPs. Internet peut notamment être vu comme une utopie, non pas parfaite, mais où la liberté permet la création.

Les hommes de la Renaissance cultivent également l’errance intellectuelle à des fins de création et de réflexion et n'ont pas la même perception de l'échec qu'à notre époque. Ainsi, ils ne cherchent pas la vérité mais des points de vue. Le mythe du Labyrinthe n’est plus perçu comme une épreuve. L’humaniste décide de vivre dans le dédale pour y explorer les chemins et les possibilités. Comme exemple de cette idée, Karine Safa utilise les longues errances de Kepler. Il a passé des années à réaliser des calculs physiques pour expliquer le mouvement des planètes alors même que son maître tentait de le ramener dans la voie de la géométrie. Kepler rompt avec son propre système de pensées et de croyances pour décrire le système solaire. Innover n’est donc pas réussir, mais errer pour comprendre. Les hommes de cette époque
acceptent l'incertitude, cultivent le "dogme de l'ignorance" en faisant table rase de leurs connaissances et s'ouvrent à d'autres disciplines.
 

Les innovations doivent contribuer à servir l'Homme plutôt qu'à l'asservir

Karine Safa, en conclusion, nous éclaire sur ce que la Renaissance peut nous apporter pour comprendre et pour construire notre propre époque :
  • l'humanisme qui repense la place de l’Homme et ce qu’il est. "Qu’est-ce qu’être humain ?" se demande-t-elle. La Renaissance s’est posée cette question et peut nous aider à mener une réflexion profonde sur notre capacité à préserver l’humain. La plus grande qualité de la Renaissance est cette capacité à avancer et contribuer à servir l’Homme plutôt qu’à l’asservir.
  • l'état d'esprit de l'époque, hors des dogmes qui autorise à penser hors des cadres, à piocher dans différentes disciplines, qui favorise l'audace intellectuelle.

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Date de la conférence : 7 janvier 2019
Lieu : MSH Alpes


Article co-rédigé avec les étudiants du Master 2 Management de l'Innovation de Grenoble IAE.

 
Publié le  18 janvier 2019
Mis à jour le  9 septembre 2019