Gilles Montègre, une Histoire inventive

Présentation Innovation pédagogique
le  9 juillet 2018
Gilles Montègre
Gilles Montègre
Fan de théâtre et de cinéma, cet enseignant d’histoire moderne de l’Université Grenoble Alpes essaie d’apprendre différemment à ses étudiants. S’il ne renie pas les classiques cours magistraux, il a à cœur d’aider ses élèves à s’approprier les connaissances d’une manière nouvelle.
Décembre 2017. Gilles Montègre et trente de ses étudiants empruntent la ligne 11 du métro parisien. En plein cœur de la capitale, la petite troupe grenobloise sort à la station Arts et Métiers pour se rendre au musée éponyme. Ici, point de carreaux blancs, comme il est d’usage à Paris : les murs du métro sont habillés de cuivre, et de grandes roues dentées émergent du plafond. Imaginée par François Schuitten (dessinateur de BD et scénographe), la station met les étudiants dans le bain.

De la classe inversée à la classe hybridée

"Elle a un côté un peu steampunk et rétrofuturiste, c’est un beau théâtre pour l’arrivée à Paris", sourit l’historien Gilles Montègre. L’enseignant a organisé le voyage en vue d’une visite particulière du musée des Arts et Métiers. Ses étudiants ont suivi le cours d’histoire des sciences et des savoirs entre Renaissance et Lumières, à Grenoble. Alors, une fois dans les murs, chacun des élèves va expérimenter la classe inversée : les étudiants doivent réaliser un exposé autour des machines conservées au musée. On y trouve les automates de Vaucanson, le laboratoire de Lavoisier ou le fardier de Cugnot (aussi appelé "chariot à feu", la toute première automobile de l’histoire). Gilles Montègre précise l’objectif du projet : "À l’université, les savoirs sont essentiellement abordés en deux dimensions par le biais des textes. Dans les salles d’un musée comme celui des Arts et Métiers, les étudiants doivent envisager leurs connaissances en trois dimensions, pour expliquer à leurs camarades comment fonctionnaient concrètement ces machines".

Cette classe inversée a également été préparée par le suivi d’un cours en ligne, né d’un partenariat entre le Cnam et Promising, et tourné dans les salles du Musée. Gilles Garel et Loïc Petitgirard sont les concepteurs de ce MOOC intitulé Fabriquer l’innovation, dont les étudiants grenoblois ont suivi plusieurs capsules vidéos intégrées dans leur espace numérique de travail, en particulier celles consacrées à l’histoire de la machine à vapeur. "Lorsqu’ils arrivent à Paris, ces étudiants grenoblois sont ainsi placés d’emblée en position active par rapport aux savoirs que le Musée mobilise", précise l’enseignant. 

L’histoire du voyage et du "braconnage"

S’il considère le voyage comme formateur, Gilles Montègre a ses raisons. Afin de devenir enseignant chercheur, il a travaillé à sa thèse intitulée "La Rome des Français au temps des Lumières" entre Grenoble, Paris et Rome, passant 6 mois par an à dépouiller des manuscrits dans les fantastiques bibliothèques de la capitale italienne. Plus récemment, l’historien a édité le premier tome d’un grand récit de voyage : celui du naturaliste Latapie, datant du XVIIIe siècle.

"Il s’avère que ce très beau récit n’avait jamais été publié. C’est aussi le journal de voyage le plus complet parmi tous ceux que les Français ont consacré à l’Italie au siècle des Lumières. Pour cette édition critique. Il a fallu retranscrire le manuscrit conservé dans des archives privées, y ajouter plus de 1700 annotations, et réaliser une étude liminaire analysant l’originalité de ce voyageur dans le contexte historique Grand Tour [un voyage d’éducation aristocratique essentiellement fondé sur la découverte des civilisations grecques et latines NDLR]".


Ce journal de voyage se révèle en effet particulièrement créatif et atypique. "Latapie voyage dans une dynamique de découverte et pas seulement de consommation culturelle. Cela m’est cher. Je crois que des individus aux différentes époques de l’Histoire ont pu bénéficier de marge de créativité, y compris au sein de sociétés très coercitives", assure-t-il en évoquant la notion de "braconnage" chère à l’historien, philosophe et jésuite Michel de Certeau.

À la manière de Latapie déambulant à pied à travers l’Italie  — loin des voyages aristocratiques classiques accomplis en carrosse —, Gilles Montègre associe ce "braconnage" à l’activité de personnes serpentant à travers les mailles de réseaux institutionnels imposés, collectant des fragments de savoirs propres à nourrir et enrichir leur quotidien. En "braconnant" de la sorte, ces individus font preuve de créativité personnelle. Faut-il y voir un parallèle avec sa carrière d’enseignant d’université expérimentant la créativité ? Sans doute.

Le procès Galilée revu par la créativité



Aujourd’hui en effet, la créativité s’est largement glissée dans les cours de Gilles Montègre. Sa dernière expérience en date remonte à octobre 2017. "J’avais cette fois une idée théorique précise : réussir à reconstituer le procès de Galilée grâce à des techniques de créativité." Divisés en trois groupes — les défenseurs de Galilée, les opposants, et les juges du tribunal de la Sainte Inquisition romaine —, les élèves ont échangés entre eux pendant deux heures pour sélectionner les meilleurs arguments. "Nous avons appliqué avec les étudiants les processus de divergence et de convergence avec lesquels je me suis familiarisé grâce aux formations de Promising".

Puis, le lendemain, le procès a eu lieu. "Cela m’a procuré des sueurs froides. Notamment à cause d’un grand mystère : celui de la réaction de mes étudiants. Mais une fois que nous avons imaginé l’installation de tous les intervenants du procès dans la salle de la Ruche, et grâce à l’investissement des étudiants qui ont vraiment joué le jeu, cela a donné un résultat très encourageant", se remémore l’enseignant d’histoire.

Si l’idée n’était pas de rejouer au plus près l’événement historique, "la reconstitution a apporté aux étudiants des informations nouvelles, mais surtout leur a permis de mettre en connexion les arguments culturel, religieux, ou encore scientifique", témoigne-t-il. "D’étonnantes apparitions ont ainsi eu lieu, comme celle de Saint Thomas d’Aquin qui est venu du Moyen-Age pour expliquer en quoi l’héliocentrisme est dangereux". Le résultat lui-même n’a pas manqué d’être étonnant, puisque ce sont les opposants de Galilée qui sont sortis victorieux du procès.

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Article rédigé par Charles Vonnils


Publié le  9 juillet 2018
Mis à jour le  17 septembre 2018